Avril 2011
Croyances, respect, et faits
Certaines opinions qui concernent des faits ne sont pas ouvertes à la critique. Elles sont jugées personnelles, et à ce titre pas plus mauvaises que les opinions opposées. Les attaquer est souvent vu comme impoli, voire intolérant.
Cet essai explique pourquoi cela devrait cesser.
La vérité est universelle
Nous vivons tous dans le même monde. Bien entendu, chacun le perçoit différemment. Nous ne voyons pas les même choses, ni ne rencontrons les mêmes personnes, ni ne menons la même vie. Pour ces raisons, et d’autres, nous n’avons pas les même croyances. Il n’empêche qu’il n’y a qu’une seule réalité. Si une affirmation est vraie, elle l’est pour tout le monde.
Par exemple, il se trouve que je porte des chaussettes noires à l’instant où j’écris ces lignes. Croyez le ou non, c’est la réalité, et donc « Loup portait des chaussettes noires lorsqu’il écrivait cet essai » est vrai pour tout le monde, vous y-compris. Vous ne pouvez pas être absolument certain de ce fait, mais ce n’en est pas moins un fait.
Maintenant imaginez que pour désamorcer une bombe à côté de nous, vous croyez qu’il faut couper le fil rouge, alors que je crois qu’il faut couper le fil bleu. Ces deux croyances sont mutuellement contradictoires. Il est clair qu’au moins l’un de nous se trompe.
Nous devrions éviter les croyances fausses
T’est là? Bon. Maintenant dévisse le panneau avant. Ne le fais pas tomber, ça ferait exploser la bombe, et je serais désolé pour ta femme. Ouais, et le Prez, aussi. Tu sais que j’adore ta femme. Bon, t’a fini? Parfait. Coupe le fil bleu… Non, fais moi confinance, je sais ce que je dis, c’est bleu. C’est bon ? Frank ? Frank ? Et zut.
Croire des choses fausses est dangereux. Ça a des conséquence, parfois bénignes, parfois tragiques. On ne peut le savoir avant d’avoir corrigé une croyance erronée. Si vous tenez à quoi que ce soit, une croyance erronée peut suffire à le détruire. Au passage, c’est en gros pourquoi le plus souvent, mentir, c’est mal.
Les fautes de raisonnement sont encore pire : elles produisent ou maintiennent des croyances erronées. Elles sont également plus difficiles à corriger. Elles sont en gros un moyen fiable d’avoir tort, ce qui est potentiellement bien plus dangereux que n’importe quelle croyance fausse. Si vous trouvez une faute dans votre raisonnement, éliminez là, puis re-vérifiez vos croyances. Si on vous propose d’en adopter une, ne buvez pas à cette coupe, elle est empoisonnée.
« Je ne sais pas » est une position
Mes chaussettes sont-elles noires ? Réfléchissez-y pendant 30 secondes, évaluez les indices à votre disposition, puis répondez honnêtement. Votre réponse pourrait ressembler à l’une des trois suivantes:
- « Vos chaussettes sont noires. » Vous êtes raisonnablement sûr que mes chaussettes sont noires.
- « Vos chaussettes ne sont pas noires. » Vous être raisonnablement sûr que mes chaussettes ne sont pas noires.
- « Je ne sais pas. » De vôtre point de vue, mes chaussettes pourraient être noires, ou d’une autre couleur. Vous n’êtes pas certain.
Notez que ces trois réponses ont une structure commune. Elles pourraient toutes être formulées ainsi: « j’estime que les chances que vos chaussettes sont noires sont de X%“. Si X est proche de 100%, vous croyez que mes chaussettes sont noires. Si X est proche de 0%, vous croyez qu’elles ne le sont pas. Si X est, mettons entre 10% et 90%, vous n’êtes pas sûr. N’importe comment, vous êtes tenu de choisir une valeur pour X, et ça sera votre position. Elle n’est pas moins respectable que n’importe quelle autre, pourvu que vous ayez fait de votre mieux pour estimer les chances.
Le désaccord n’est pas de l’intolérance
Disont que je suis sûr à 99% qu’il faut couper le fil bleu, et que vous êtes sûr à 99,9% qu’il faut couper le rouge. Si nous connaissons également l’opinion de l’autre, nous sommes automatiquement très sûr que l’autre se trompe. Ce n’est pas de l’intolérance. C’est la conséquence directe de nos croyances respectives. Si vous n’étiez pas à ce point certain que j’ai tort, vous ne seriez pas aussi sûr que c’est le fil rouge qu’il faut couper. C’est une question de cohérence.
Il y a cependant un espoir: si nous sommes tout deux raisonnables, ne commettons pas d’erreur de raisonnement, avons un accès à peu près égal aux indices, et cherchons sincèrement la vérité ensemble, alors nous finirons par tomber d’accord. Au moins l’un de nous va radicalement changer d’avis.
Nous autres humains ne sommes bien sûr pas aussi parfaits. La plupart du temps, personne ne changera d’avis, ce qui est assez frustrant. Nous ne devrions pas cependant changer d’avis juste pour être gentils envers les autres. La gentillesse aide, mais mais lorsqu’il s’agit de trouver la vérité, la réalité n’est pas une démocratie.
Bon. Admettons qu’à mi-chemin d’une telle quête, vous êtes toujours certains à 99,9% qu’il faut couper le fil rouge, mais je n’en suis sûr qu’à 60%. Cela veut dire deux choses:
- J’ai changé d’avis.
- Nous ne sommes toujours pas d’accord.
Cette fois ci, notre désaccord n’est pas aussi profond, mais il est encore significatif: vous n’hésiteriez pas à couper le fil rouge, alors que pour moi, ça 40% de chances de faire exploser la bombe ce qui est bien trop risqué.
Aucune exception
Ces règles s’appliquent à n’importe quelle question qui concerne les faits. Y-compris les questions controversées ou tabou. Par exemple, est-ce que Dieu existe ?
La foi n’a rien à voir là dedans. Soit Dieu existe, soit il n’existe pas. Dans les deux cas c’est un fait, à propos duquel nous pouvons avoir raison ou pas. Inévitablement, des croyants et les athées, un groupe se trompe.
C’est comme pour notre bombe. Si Dieu existe, les athées se trompent. Si Dieu n’existe pas, les croyants se trompent. Nous pourrions ne pas savoir qui se trompe, mais ça n’empêche que certains d’entre nous se trompent.
C’est une question importante. Une mauvaise réponse peut nous amener à sacrifier notre vie ou notre âme pour rien.
L’agnosticisme n’est pas une position aussi confortable qu’il n’y parait. Pour commencer, les agnostiques sont en désaccord avec les croyants comme avec les athées. Ensuite, tout indice significatif devrait à peu près les convertir en athées ou en croyants. Et l’importance de la question suggère qu’ils devraient rechercher ce genre d’indices.
Les athées pensent que Dieu n’existe pas, alors que les croyants pensent qu’il existe, ce en connaissance des opinions de chacun. Par conséquent, ils croient tous que l’autre groupe se trompe. Ce n’est pas de l’intolérance, mais de la cohérence.
Je m’inquiète cependant du manque de consensus après tout ce temps. « Est-ce que Dieu existe » est une question importante, et pour autant que je sache nous avons quantité d’indices accessibles à tous, et de nombreux débats. J’imagine que notre pensée a encore des problèmes.
Maintenant répondez-y pour vous. Est-ce que Dieu existe ? De façon plus réaliste, quelle est votre estimation des chances de l’existence de Dieu ? Ne vous positionnez pas comme un croyant, un athée, ou un agnostique. Évaluez tous les indices à votre portée (science, Écritures, ce qu’on vous a dit, tout ce que vous jugez pertinent), puis donnez votre nombre. Gardez juste en tête ces gardes-fous:
Votre estimation peut être très proche de 0% ou de 100%, ce qui signifierait que vous être très confiant. Dans ce cas, pourriez vous l’assumer, et dire en face de quelqu’un tenant l’opinion opposée « je pense que vous vous trompez » ?
Inversement votre estimation peut être très proche de 50%. Dans ce cas, êtes vous sûr que tous les indices à votre disposition, toute la science, toutes les Écritures, tous les débats, sont à ce point équilibrés ? La balance ne penche-t-elle pas d’un côté plus que de l’autre ?
Si vous souhaitez partager votre estimation avec d’autres, assurez vous d’abord de parler du même Dieu. Un bonne définition de départ peut être « un être surnaturel, conscient, qui a créé l’univers, est omnipotent, et omniscient ». Vous pouvez ajouter « est bienfaisant », ou « agit encore dans notre univers », ou « écoute les prières ». Vous pouvez préciser jusqu’à arriver à un dogme religieux particulier si vous le souhaitez.
Essayez avec d’autres questions
Comme je l’ai dit, ces principes s’appliquent à toutes les questions concernant les faits, même les plus effrayantes. Quelques exemples intéressants pourraient être:
- Le climat se réchauffe-t-il ?
- Est-ce que notre civilisation survivra à ce siècle ?
- Y-a-t-il une vie après la mort ?
Ce sont des questions tranchées, qui concernent les faits. Soit le climat se réchauffe, soit il ne se réchauffe pas. Soit notre civilisation survivra à ce siècle, soit elle s’écroulera avant le prochain siècle. Soit il y a une vie après la mort, soit il n’y en a pas. Bien sûr, vous ne pouvez pas être absolument certain de la réponse, mais vous pouvez estimer les chances en vous basant sur vos conaissances partielles.